Childrens Care International

Texte par Solène Mouchel, stagiaire adjointe à la programmation

Mardi 20 juin 2023, Longueuil QC

 

Dans au moins 17 pays à travers le monde, des dizaines de milliers d’enfants sont engagés dans des conflits armés. Certains sont envoyés en première ligne pour combattre, que ce soit en Ouganda, en Centrafrique, en Colombie ou au Népal, tandis que d’autres sont assignés à des rôles auxiliaires tels que porteurs, messagers, gardes du corps, cuisiniers, espions, ou esclaves sexuels. Leur enfance est volée et les souffrances qu’ils endurent perdurent même après la fin des hostilités, car ces conflits détruisent les liens de confiance avec leur famille, rendant difficile la reprise du contact après les traumatismes du champ de bataille.

La Convention n°182 de l’Organisation internationale du travail qualifie le recrutement forcé d’enfants dans les conflits armés comme l’une des pires formes de travail des enfants, et depuis 2000, le Bureau International du Travail est tenu de répondre à cette violation des droits fondamentaux (1).

  • Programmes DDR

Depuis le début des années 1990, l’ONU met en place des programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) en réponse aux conflits en Afrique, en particulier en Angola, en Sierra Leone et en Ouganda. Ces programmes ont pour objectif d’aider à la réintégration des anciens combattants, y compris les enfants, dans la société civile. Depuis lors, plusieurs programmes ont été développés dans différents pays et à différentes époques, en fonction des besoins spécifiques de chaque contexte (2).

Les programmes de DDR pour les enfants soldats se distinguent des programmes pour les adultes en raison de l’interdiction du recrutement d’enfants soldats par le droit international. Ils comprennent le désarmement et la démobilisation pour les éloigner de la guerre, ainsi que des mesures de réhabilitation et de réinsertion sociale pour favoriser leur reconstruction et leur réintégration (3).

 

Première phase: Désarmement et Démobilisation

Le processus de désarmement des enfants soldats implique la confiscation et la destruction de leurs armes, ainsi que le remplacement de leurs tenues militaires par des vêtements civils. La collecte des armes peut être une remise volontaire négociée lors des accords de paix ou une confiscation forcée.

Ensuite, vient la démobilisation, la réduction des effectifs des groupes armés afin de garantir la paix. Ce moment marque la transition de l’enfant soldat vers une vie civile et comprend des étapes telles que le regroupement, le cantonnement, l’administration et la préparation au retour à la société. Des programmes spécifiques à chaque situation définissent les critères d’éligibilité des anciens enfants soldats à une indemnisation et à une assistance en vue de leur réintégration. Cependant, ils excluent souvent les enfants qui ont occupé des rôles autres que celui de combattant, tels que porteurs, cuisiniers ou esclaves sexuels (4).

 

Les programmes DDR évoluent pour inclure la démobilisation en dehors des accords de paix officiels. Les programmes de DDR de deuxième génération adoptent une approche plus globale de la construction de la paix en s’adaptant aux développements sur le terrain, sans suivre nécessairement la séquence traditionnelle de désarmement, démobilisation et réintégration (5).

 

Deuxième phase: Réhabilitation et Réintégration

La réhabilitation et la réinsertion représentent le processus d’accompagnement à la vie civile. En amont, les programmes DDR apportent une aide psychosociale cruciale mais d’autant plus difficile pour les adolescents qui ont du mal à abandonner leur identité militaire.

 

La réintégration des enfants soldats est complexe en raison des actes violents qu’ils ont commis contre leur famille et leur communauté, ce qui rend le processus de réinsertion crucial, difficile et essentiel dans les programmes de DDR. Les organismes internationaux tels que l’UNICEF et le Comité International de la Croix-Rouge accompagnent les familles et les communautés, en leur offrant un soutien psychologique et des services de médiation familiale. Ce service est crucial pour favoriser la réconciliation en aidant les familles à reconnaître que les adultes qui ont recruté les enfants soldats sont principalement responsables de leurs actions. De plus, il est essentiel d’offrir un soutien psychologique aux communautés traumatisées par les violences subies, afin de prévenir la peur, la violence et le rejet envers les enfants soldats.

Outre le soutien psychologique, les centres offrent des programmes de désintoxication et des formations professionnelles aux anciens enfants soldats. Cela permet leur reconstruction et d’éviter les risques de ré-engagement dans un groupe armé (6). Par exemple, en République democratique du Congo, ils apprennent les savoirs liés à l’agriculture et les métiers de la boulangerie.

 

  • Les facteurs qui peuvent mener à l’échec du processus DDR


La mise en œuvre des programmes de réinsertion et de réhabilitation reste mitigée dans de nombreux pays en raison d’un manque de volonté des acteurs nationaux et internationaux, compromettant ainsi leur succès.

 

Le manque de volonté politique

La participation des enfants aux hostilités obéit à des enjeux politiques et stratégiques. La volonté politique des parties au conflit, particulièrement dans le cadre d’un accord de paix, est déterminante pour le retrait et la réinsertion des enfants soldats dans la vie civile. Cependant, il est fréquent que ces parties nient initialement la présence d’enfants au sein de leurs forces armées. Dans de telles situations, il devient difficile de démobiliser des individus qui sont niés ou ignorés par les parties au conflit. Ainsi, la reconnaissance de l’existence des enfants soldats et leur inclusion dans le processus de démobilisation représentent des défis majeurs à relever pour assurer leur réintégration réussie dans la société.

Les parties au conflit peuvent être motivées par une image positive à l’échelle internationale et par la volonté d’éviter d’être accusées de crimes de guerre liés à l’utilisation d’enfants soldats. Cependant, elles ont souvent recours à des démobilisations sélectives et incomplètes, ne touchant que les enfants indésirables ou les prisonniers de guerre. De plus, il arrive que des groupes armés procèdent clandestinement à de nouveaux recrutements, malgré des démobilisations officielles.

 

Le désengagement de la communauté internationale

Le financement des programmes de DDR, provenant principalement des États par le biais d’accords bilatéraux ou d’organisations internationales telles que l’UNICEF, le PNUD, le CICR ou la Banque mondiale, constitue un obstacle récurrent à leur réussite, en raison du manque de volonté des bailleurs de fonds de les soutenir. L’engagement sélectif de la communauté internationale, motivé par des intérêts stratégiques et politiques, hiérarchise les conflits. Cela se traduit par des efforts concentrés sur certains conflits, comme en Sierra Leone, tandis que d’autres, comme au Liberia, sont délaissés, entraînant des retards importants dans le financement et la mise en place des programmes de DDR.

En plus de l’insécurité économique entravant la reprise économique et la création d’emplois pour les ex-combattants, l’incapacité à évaluer les opportunités économiques locales, les dynamiques du marché et le manque de diversification de la formation professionnelle affaiblissent le processus de DDR (7).

Les difficultés secondaires telles que les critères de sélection des enfants éligibles au processus, la méfiance des enfants envers les programmes et la non-intégration des filles dans le processus sont toutefois secondaires, car pour surmonter ces obstacles, il est essentiel que les politiques nationales et internationales s’engagent pleinement dans l’exécution du programme (8).

  • Éléments nécessaires à la consolidation et la réussite du processus 

Pour garantir le succès des programmes de DDR, il est nécessaire de s’assurer de la bonne foi de tous les acteurs impliqués et d’élargir ces programmes pour inclure tous ceux qui ont directement ou indirectement participé au conflit, notamment les filles qui sont souvent négligées. 

De plus, la communauté joue un rôle crucial dans la réintégration. Il est essentiel d’impliquer la famille et la communauté dans le processus de retour de l’enfant soldat, car leur soutien est essentiel pour une réintégration sociale réussie. Certaines craintes de rejet par la communauté peuvent empêcher certains enfants de rejoindre les programmes de DDR, ce qui souligne l’importance de la confiance dans la transition vers la vie civile. Les organisations internationales peuvent aider à rechercher les membres de la famille, mais en l’absence de ces derniers, des alternatives telles que l’adoption temporaire ou définitive doivent être envisagées. Il est essentiel de persuader les enfants de l’importance de mettre fin au cycle de la violence, de retourner à la communauté et de veiller à ce que leur réintégration se fasse sans subir de mauvais traitements.

L’acceptation de l’enfant démobilisé n’est pas suffisante ; le succès du programme DDR dépend également de considérations économiques. En raison des contraintes économiques et de survie, de nombreux enfants rejettent les programmes DDR, car leur affiliation à une entité militaire leur assure un revenu. Ainsi, les programmes DDR doivent aider les familles à faire face aux problèmes économiques immédiats en offrant des emplois aux adultes démobilisés et une formation professionnelle aux enfants, afin de stimuler l’économie à long terme et favoriser leur réintégration.

 

(1) ILO, Travail des enfants et conflits armés.

(2) United Nations, 18-01-2010, Second Generation Disarmament, Demobilization, and Reintegration (DDR) Practices in Peace Operations.

(3)CICR, 2013, Enfants Associés aux Forces Armées ou aux Groupes Armés. 

(4) Carel MAKITA KONGO, 2020, Les Enfants Associés aux Forces et Groupes Armés Démobilisés face aux Contraintes d’une Réinsertion Sociale.
 
(5) United Nations, 18-01-2010, Second Generation Disarmament, Demobilization, and Reintegration (DDR) Practices in Peace Operations.
 

(6) UNICEF Canada, 09-02-21, Lorsque je ferme les yeux: trois témoignages d’enfants soldats

(7) GSDRC, 01-06-2016, Lessons from DDR programmes.

(8) Carel MAKITA KONGO, 2020, Les Enfants Associés aux Forces et Groupes Armés Démobilisés face aux Contraintes d’une Réinsertion Sociale.